La COTIF et le droit européen
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À l'origine
Le transport ferroviaire à travers les frontières est toujours une affaire de droit et de législation. À la différence d’autres modes de transport comme les transports routiers, aériens et par voies de navigation intérieure, les chemins de fer sont toujours largement gérés à l’échelon national. Ainsi, les transports ferroviaires internationaux ne sont souvent qu’une chaîne de transports nationaux consécutifs : la composition des trains, le personnel de bord, les règles et l’exploitant changent aux frontières. Les formalités douanières et l'échange des wagons et des voitures (et non pas des locomotives), devaient dès lors faire l'objet d'applications juridiques adoptées par les parlement nationaux, donnant force de loi. 

C'est ainsi que fut créé en 1890 à Berne, avec application dès 1893, une toute première Convention internationale concernant le transport international de marchandises par rail. Cette CIM est suivie en 1928 par la CIV, la Convention Internationale régissant le transport des Voyageurs et des bagages par chemin de fer. Ces deux conventions ont été gérées par un secrétariat situé à Berne, appellé 'Office International des Transports par Chemin de fer'. Le champ de cette convention s'est étendu au fur et à mesure que le nombre de membres y adhérait, avec l'arrivée de la Turquie, du Proche-Orient et d'autres nations éloignées, mais reliées, à l'Europe.

Cette organisation avait essentiellement pour but d'établir un régime de droit uniforme applicable aux transports des voyageurs, des bagages et des marchandises en trafic international direct entre les États membres, empruntant une liste établie de lignes ferroviaires et de points frontières pour faciliter l'exécution et le développement de ce régime. CIM et CIV sont ainsi restés les règles uniformes de l'après seconde guerre mondiale et permirent ainsi d'établir un contrat de transport étalé sur plusieurs administrations, afin d'éviter les ruptures de charge aux frontières.

C'est sur base de cette CIV qu'étaient par exemple établis la tarification internationale voyageur, la délivrance et le type des billets ainsi le transport des bagages, reconnus par tous les membres. Le logo CIV est d'ailleurs toujours inscrits sur les billets et indique qu’ils sont couverts par les termes du contrat, fournissant principalement une compensation pour les bagages perdus et une garantie de poursuite du transport en cas de correspondance annulée ou manquée. On peut le voir ci-dessous avec ce billet international émis par les CFF : 
On voit que ce billet n'est pas un trajet suisse mais un trajet entre la Hongrie et la Bulgarie. Son tarif en CHF n'est autre que le tarif officiel additionné de trois administrations ferroviaires : hongroise, roumaine et bulgare. Les chemin de fer suisses peuvent émettre ce type de billet mais n'ont pas la main sur les montants ni les aspects commerciaux.

Le droit uniforme de transport ferroviaire CIV/CIM s'appliquait sur environ 240.000 km de lignes ferroviaires dûment enregistrées et environ 23.000 km de lignes routières, maritimes et fluviales. Ces conventions furent successivement révisées en 1952, 1961 puis 1970 et fondaient toute la politique ferroviaire internationale dans un environnement très figé et formel.

Naissance de la COTIF
En mai 1980, est créée l'Organisation intergouvernementale pour les transports internationaux ferroviaires (OTIF), remplaçant l'institution précédente, mais demeurant toujours à Berne. Toutes les conventions précédentes furent coulées dans un seul et unique Traité: la COTIF (Convention relative aux Transports internationaux ferroviaires) qui entra en vigueur le 1er mai 1985 et que tous les parlements nationaux devaient ratifiés. L'OTIF jouit de la personnalité juridique aussi bien dans le droit international que dans les droits nationaux des États membres. 

Dans les faits, cette COTIF 1980 vivait toujours avec le système de lignes enregistrées, chacune exploitée par un chemin de fer intégré qui avait l'exclusivité de la traction, que l'on changeait de facto aux frontières. Une codification qui excluait une couverture optimale des coûts et qui était parfaitement adaptée à la représentation étatique du transport par rail.
La COTIF 1999
Lors de la troisième Assemblée générale qui s'est tenue à Berne du 14 au 16 novembre 1995, mandat fut donné à l'OTIF de procéder à une révision en profondeur de la COTIF en vue d'élaborer de nouvelles règles allant au-delà du droit de transport, afin de répondre aux nouvelles exigences imposées par le droit ferroviaire européen (interopérabilité, contrat d'utilisation de l'infrastructure ferroviaire, admission technique du matériel ferroviaire, etc..). Les travaux de modification de la COTIF version 1980 ont abouti dans le cadre du protocole de Vilnius de 1999. Celui-ci comporte l'actualisation du droit ferroviaire international tel qu'il est applicable à l'échelon du continent européen, voire au-delà avec l'intention d'en faire la référence juridique mondiale. 

La COTIF nouvelle réglemente, selon ses dispositions et ses 7 annexes, le droit ferroviaire international dans le domaine des contrats de transport des passagers et des marchandises (CIV , CIM) ainsi que l’usage de l’ infrastructure ferroviaire étrangère (CUI), l’utilisation des voitures étrangères (CUV), les normes techniques et juridiques de sécurité et les procédures uniformes relatives à l’homologation des transports de marchandises dangereuses (RID) et du materiel roulant ferroviaire (APTU et ATMF). Le conseil et le développement de ces annexes constituent les principales missions de l’OTIF ainsi que le soutien et la contribution, dans ce cadre, à la facilitation du passage des frontières en transport ferroviaire. 

Cette nouvelle version devait entrer en vigueur dès que deux tiers des parties contractantes l'avaient ratifiée, soit 27 ratifications sur un total de 42 parties contractantes à l'époque. Le protocole de Vilnius entra en vigueur le 1er juillet 2006.

Á ce moment, l'Europe comptait 28 États, tous adhérents de la COTIF, ce qui pouvait poser des problèmes d'incompatibilités juridiques car entretemps, l'Europe agissait aussi pour son « chemin de fer sans frontières ». Le droit communautaire était en cours d'élaboration au travers des STI, les Spécifications Techniques d'Interopérabilité, qui ont force de loi dans les législations nationales, donc dans plus de la moitié des adhérents de la COTIF. Un téléscopage juridique devenait inévitable...
Le monde ferroviaire en mutation
L'OCDE en 1997 faisait le constat « qu'il existe un risque réel, en particulier dans une période de changement profond et rapide des conditions économiques et sociales, que les réglementations deviennent un obstacle à la réalisation même du bien-être économique et social qu’elles sont censées assurer. Les réglementations qui entravent l’innovation ou créent des obstacles inutiles aux échanges, à l’investissement et à l’efficience économique, les chevauchements de compétences entre les autorités investies du pouvoir réglementaire et les différents niveaux d’administration, et même entre les gouvernements des divers pays, l’influence des intérêts en place qui cherchent à se protéger de la concurrence et les réglementations qui sont dépassées ou trop mal conçues pour atteindre les objectifs assignés sont autant d’aspects du problème.»
Certaines réglementations détaillées de la COTIF étaient clairement devenues superflues dans un marché de transport ferroviaire de plus en plus libéralisé, et certaines dispositions étaient carrément ignorées, afin d'accorder une plus grande liberté de contrat (p. ex. certaines dispositions concernant l’enregistrement et le transport des bagages, l’état, la nature, l’emballage et le marquage des bagages, le remboursement et paiements supplémentaires, etc...). Les bagages eux-mêmes font l'objet d'une mutation, avec... la généralisation des valises à roulettes et les frontières ouvertes de l'espace Schengen qui n'exige plus aucunes fomalités douanières. L'arrivée d'internet et du ticketing à domicile a bouleversé tout le secteur. 
Enfin, la volonté de l'Europe de libéraliser le trafic ferroviaire lui-même, a complètement refondu le paysage ferroviaire. Il est désormais fait appel à une exploitation sur base contractuelle et a une commercialisation du produit ferroviaire au travers des prix du marché, à l'exception notoire des transports de proximité, qui ne concernent de toute manière pas la COTIF. Dans les faits, l’Union européenne faisait évoluer sa propre réglementation ferroviaire depuis le début des années 1990, avec notamment les premier, deuxième, troisième et maintenant quatrième paquets ferroviaires, afin de mettre en place un cadre juridique supranational européen stable pour l’interopérabilité et la sécurité ferroviaires ainsi que pour ouvrir parallèlement le marché pour l’accès au réseau et les transports dans et entre ses États membres, avec l’établissement de l’« espace ferroviaire européen unique ».

Le passage de l'administration publique à l'entreprise commerciale est consommé avec la séparation, sous diverses formules selon les États, entre l'infrastructure ferrée et son transporteur historique. Se posent alors les questions de la responsabilité, de la définition même d'une « entité ferroviaire », des objectifs en terme de coûts d'exploitation. 
La grande question du service public
Le protocole de 1999 a apporté plusieurs modifications, parmi lesquelles : 
• Les entreprises ferroviaires ne sont plus soumises à l'obligation de transporter ni à l'obligation d'établir des tarifs. 
• Les clients doivent détenir un contrat de transport conclu en bonne et due forme avec une entreprise ferroviaire pour que l'exécution du transport soit garantie. 
• Le contrat de transport international ferroviaire de marchandises est un contrat consensuel. Il repose donc sur un engagement mutuel de toutes les parties au contrat. 
• Les nouvelles formes de coopération sont également prises en compte par la législation: distinction est faite entre le transporteur contractuel, les transporteurs subséquents (successifs) et les transporteurs substitués (sous-traitants). 
• L'application des Règles uniformes CIM peut être également adoptée par contrat pour des transports effectués en collaboration avec les entreprises ferroviaires de pays qui n'adhèrent pas à l'OTIF ou qui n'ont pas signé la convention. 
• L'utilisation du nouveau modèle de lettre de voiture est obligatoire.

Le premier de ces point est très intéressant : jusqu'au début des années 2000, les chemins de fer d’État jouissant d’un monopole de réseau et de trafic étaient contraints par les obligations de service public qui leur étaient imposées pour effectuer leurs tâches de transport. En trafic international, cela entraînait de facto l'obligation de coopérer, de sorte qu'un trafic ferroviaire continu et obligatoire était rendu possible avec le système de lignes définies que nous évoquions plus haut. Mais dans un environnement concurrentiel, introduit en fret et en trafic grandes lignes internationales voyageurs (respectivement en 2003 et 2010), qui garantit des droits aux nouveaux entrants, l’obligation de transporter devenait caduque.

Mais cela a eu une autre conséquence majeure en faveur du citoyen : la mise en concurrence des entreprises ferroviaires a permit une plus grande liberté de contracter librement dans l'organisation des contrats de transport par train, et donc d'étendre les obligations et les responsabilités des opérateurs en faveur des clients, ce qui n'était pas le cas dans la COTIF 1980. La protection du consommateur devenait la nouvelle ligne de conduite de ces nouvelles législations.
D'autres dispositions adaptent la COTIF au contexte ambiant. Ainsi, les détenteurs de véhicules ne sont plus obligés d'enregistrer leurs matériels roulants auprès d'une entreprise ferroviaire d'État comme jadis, mais auprès d'un registre national des véhicules ferroviaires, faisant évoluer tout le marquage UIC des véhicules. Quelques exemples ci-contre, que nous expliquerons en détail à une autre page, nous montrent après les chiffres la lettre D ou B, pour Deutschland ou Belgique, indiquant le pays d'immatriculation et non les entreprises historiques. Le pays est suivi des lettres des véritables propriétaires du véhicule : par exemple Dispo pour la société de leasing allemande MRCE Dispolok, ou BLX qui est l'opérateur de fret belge Lineas.
L'Europe adhère à la COTIF
En 2006, le Secrétariat de l’OTIF commençait la rédaction de prescriptions techniques uniformes (PTU) avec les États membres et les représentants du secteur ferroviaire. Or, l’UE avait déjà introduit en 2001 les spécifications techniques d’interopérabilité (STI). Plutôt que de réinventer la roue, il est alors paru plus logique d’aligner les PTU sur les STI existantes et de garantir ainsi l’harmonisation de la réglementation à l’échelle internationale. Dès 2015, toutes les dispositions pertinentes pour l’admission de tous les types de véhicules au trafic international étaient disponibles du côté de l’OTIF et compatibles avec la réglementation de l’UE. L’équivalence entre les exigences des PTU de la COTIF et des STI de l’UE pouvait permettre l’acceptation mutuelle des véhicules qui peuvent ainsi circuler librement entre États membres et non membres de l’UE. 

Par ailleurs, l’adhésion de l’UE devait aussi permettre d’offrir une plus grande sécurité juridique aux autres membres de l’OTIF qui nouent des relations ferroviaires avec les États membres de l’UE, comme la Suisse, la Norvège ou certains États des Balkans. Les États membres de l'Union ne peuvent en effet pas jouir individuellement de certains droits ou se soumettre individuellement à certaines obligations vis-à-vis de pays tiers pour les questions qui sont de la compétence de l’Union.

Déjà depuis le 1er janvier 1997, l’Union européenne appliquait les dispositions du RID concernant les transports de matières dangereuses sur le territoire de l’UE, et qui était à l'origine en application de la directive 96/49/CE. En 2008, la directive 96/49/CE fut abrogée par la directive 2008/68/CE, qui repose sur les mêmes principes que la première. Cette directive appliquait donc les règles uniformes établies par la COTIF au transport des marchandises dangereuses par route, par chemin de fer ou par voie navigable à l’intérieur des États membres ou entre États membres. L’Union européenne adhéra officiellement à la COTIF en juillet 2011 en vertu de la décision 2013/103/UE du Conseil. 

En 2013, l’OTIF, la direction générale de la mobilité et des transports de l’UE et l’Agence de l’Union européenne pour les chemins de fer ont signé un arrangement administratif afin de coopérer plus étroitement et de coordonner la rédaction des dispositions juridiques ainsi que pour éviter les doublons et contradictions potentiels qui entraveraient l’acceptation mutuelle des véhicules et donc le trafic international. Dans cet arrangement administratif, les parties conviennent également d’échanger des informations sur leurs projets de dispositions d’intérêt commun. En raison des différentes procédures décisionnelles impliquant des membres communs, la planification est essentielle pour garantir que les dispositions entrent en vigueur aux niveaux international et européen le plus rapidement possible.